Décès d’un manifestant blessé lors des violences à Tripoli

Depuis lundi, plus de 300 personnes ont été blessées dans la capitale du Nord.

OLJ / le 28 janvier 2021

Décès d'un manifestant blessé lors des violences à Tripoli

Des manifestants anti-pouvoir brûlant des bennes à ordures, le 28 janvier 2021 lors d’un nouveau rassemblement à Tripoli, au Liban-nord. Photo AFP / JOSEPH EID

Un jeune homme est décédé jeudi matin de ses blessures, après les affrontements de la veille à Tripoli entre des manifestants protestant contre les restrictions sanitaires et leurs difficiles conditions de vie et les forces de l’ordre. Il s’agit du premier décès annoncé depuis le début des violences qui ont fait jusque-là plus de 300 blessés dans la capitale du Nord, l’une des villes les plus pauvres du Liban.

Omar Tayba, 29 ans, a été blessé par balle alors qu’il observait les manifestations et les heurts, a déclaré à l’AFP son frère Ahmad Tayba. Le jeune homme était hospitalisé à l’hôpital al-Nini, à Tripoli. Il a été inhumé à Bab el-Tebbané, rapporte l’Agence nationale d’information (Ani, officielle). « Mon frère regardait les manifestations quand il a été touché. Il ne participait pas aux manifestations », a ajouté Ahmad Tayba.

Photo Ani

« Prêt à mourir en martyr »
Depuis lundi, les manifestations prennent chaque soir un tour violent à Tripoli et dégénèrent en affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants, qui protestent contre le prolongement du confinement sanitaire. Ce bouclage et les mesures strictes mises en place privent en effet de nombreux citoyens de leur revenu et l’Etat n’a encore fourni aucune compensation ou aide aux personnes fragilisées. Tripoli était déjà l’une des villes les plus pauvres du Liban avant la flambée du nouveau coronavirus. Mercredi soir, 226 personnes ont été blessées dans les heurts, dont 66 ont été hospitalisés. Les protestataires ont jeté des cocktails Molotov et des pierres sur les forces de l’ordre qui ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et de canons à eau. Selon l’AFP, des tirs à balles réelles d’origine inconnue ont également été entendus dans le secteur. L’utilisation de la force par les policiers a été dénoncée par plusieurs activistes. Des manifestants en colère ont tenté ensuite de pénétrer à l’intérieur du sérail, le siège du gouvernorat du Nord, et mis le feu à l’entrée d’un bâtiment de la police. Sur Twitter, les forces de l’ordre ont fait état de neuf blessés dans leurs rangs, dont un officier dans un état grave. Et mardi, l’armée avait fait état de 31 blessés dans ses rangs la veille. En trois nuits de violences, plus de 300 personnes ont été blessées.

Après les funérailles de Omar Tayba, des centaines de contestataires sont à nouveau descendus dans les rues de la ville en début d’après-midi. Comme les jours précédents, un groupe se trouvait sur la place al-Nour, où ils criaient des slogans antipouvoir, tandis qu’un autre caillassait l’entrée principale du sérail. Des protestataires ont encore marché dans les rues de la ville, afin de se rendre devant les maisons des responsables politiques. Devant le domicile du député Fayçal Karamé, ils ont appelé à sa démission et scandé que « le sang des jeunes de Tripoli ne coulera pas en vain ». Lire aussi notre reportage « J’en suis à un point où je peux tuer pour nourrir ma famille »

Sur la place al-Nour, Ibrahim, 17 ans, confie à notre journaliste sur place Lyana Alameddine être « prêt à mourir en martyr » comme Omar Tayba. « On préférerait mourir par balle que de faim », affirme-t-il, soulignant que « si l’armée s’en prend à nous, nous nous en prendrons à elle ». Un autre jeune originaire de Bab el-Tebbané déclare que « ce sont les députés qui nous ont affamés et il faut qu’on se rende devant chez eux pour les confronter ». Un peu plus loin, des jeunes garçons d’une dizaine d’années lancent des pierres en direction du sérail. Sleimane, huit ans, crie « on a faim, on n’a même pas une tranche de pain et on est venu réclamer nos droits ».

Vers 16h, les Forces de sécurité intérieure ont lancé de premières cartouches de gaz lacrymogène pour disperser les jeunes rassemblés devant le sérail, selon notre journaliste. Des protestataires ont également mis le feu à l’entrée du Sérail gouvernemental de la ville. Un sit-in de solidarité avec les manifestants de Tripoli a en outre eu lieu vers 17h devant le siège du ministère de l’Intérieur dans le quartier de Sanayeh, à Beyrouth. « Celui qui tue son peuple est un traître », ont scandé certains manifestants, selon le journaliste de SkyNews Arabia Salman Andary. Les protestataires, un petit groupe de quelques dizaines de personnes, ont ensuite manifesté sur la place Riad el-Solh, dans le centre-ville de la capitale. Un sit-in devant le domicile du ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a également eu lieu à Koraytem.

« Des mains suspectes »
Réagissant aux violences des derniers jours, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a affirmé dans un tweet que « les habitants de Tripoli, les agents des forces de sécurité et tout le Liban sont victimes de l’indifférence, de l’inconscience (des responsables, ndlr) et de la vacance des institutions, ainsi que des tentatives d’implanter un Etat policier ».

L’ancien Premier ministre Nagib Mikati, également député de Tripoli, a pour sa part déploré le décès du jeune manifestant et le nombre de blessés parmi « les civils et les militaires », mettant en garde contre toute tentative de « détourner les besoins des gens afin de mettre en œuvre des plans politiques et sécuritaires ». Des avertissements similaires avaient été lancés la veille par le Premier ministre sortant, Hassane Diab, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri. 

Le courant du Futur, dirigé par ce dernier, a estimé que la solution sécuritaire aux manifestations violentes à Tripoli n’était en réalité pas une solution. Il a dénoncé une sorte de complot de la part des services de renseignement et de certaines formations politiques sans les nommer. Evoquant « des mains suspectes qui œuvrent à noyer Tripoli dans le chaos », tout en reconnaissant « le cri juste qui reflète la souffrance sociale des quartiers populaires » de la capitale du Nord, le Futur a estimé que « de nombreuses prises de positions durant les dernières heures montrent qu’il y a des partis politiques et des notables locaux qui exploitent la souffrance des citoyens et qui financent des groupes, dont certains viennent de l’extérieur de la ville ». La formation de Saad Hariri ne va toutefois pas jusqu’à nommer ces partis-là, alors que certains accusent le frère du Premier ministre désigné, Baha’ Hariri, d’alimenter la grogne populaire afin d’exploiter le malaise de la rue sunnite au service d’objectifs politiques et personnels.

Les Forces libanaises (du leader maronite Samir Geagea) ont, elles, dénoncé « la négligence » des autorités libanaises qui n’ont pas assuré d' »alternatives » financières aux citoyens lors du confinement total. Elles ont accusé le gouvernement de ne pas avoir assumé « ses responsabilités vis-à-vis du peuple et surtout des travailleurs journaliers ». Dans un communiqué, les FL ont dit « comprendre les souffrances des gens face à la crise financière catastrophique ainsi que leur colère », appelant toutefois à éviter le recours « au chaos et au vandalisme ».

Le Liban vit sous le double impact d’une crise économique inédite et de confinements successifs pour lutter contre le nouveau coronavirus, qui ont aggravé les conditions de vie de la population. Le pays avait connu en octobre 2019 un mouvement de contestation inédit par son ampleur contre une classe dirigeante accusée d’être corrompue, incompétente et indifférente. Celle-ci est toujours en place.

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